Propos au sujet de l’exposition Influences Croisées
Jean-Claude Liehn
Ma carrière :
Je suis un jeune photographe âgé. En effet, si je pratique sérieusement la photographie depuis plus de quinze ans, ce n’est que récemment, depuis que j’ai abandonné ma carrière professionnelle, que je fréquente les milieux artistiques. On m’y a fait quelques propositions d’expositions dans la région où je vis. Avant cela, je montrais mes productions uniquement sur Internet. Cette expérience m’a conduit à me concentrer sur l’architecture et à élaborer un style personnel. Parallèlement, j’ai lu bon nombre d’ouvrages sur l’histoire de la photographie et ai fait quelques conférences sur le sujet.
Ma démarche :
Je ne revendique que la spécificité d’un regard et laisse au spectateur le soin d’interpréter ou pas ce que je leur propose. Le sens de mon travail doit rester une question ouverte. Ce qui suit dans ce texte constitue quelques éléments de réponse, mais il n’est pas dans mes intensions de mener le spectateur par la main, en lui décrivant une démarche parfaitement explicite. Mon idéal serait presque de montrer mes photographies sans aucun texte d’accompagnement.
Et si je dois faire une confidence, je dirais que mon activité artistique a pour but de me réconcilier avec le monde.
Mon style :
Je considère que le style est important. La photographie contemporaine offre beaucoup d’images sans qualités, qui ont renoncés à toute beauté formelle. Ce n’est pas mon domaine. Au demeurant, mon style est sobre et rendre dans le cadre de ce que l’histoire de la photographie nomme le style documentaire. J’aime expliciter les influences stylistiques que j’ai subies. Par lucidité et par modestie. Le fait que dans mon travail ces influences soient multiples et que je les croise, suffit à mes yeux à en faire une œuvre personnelle.
L’architecture :
Pourquoi l’architecture ? Je peux donner quelques éléments de réponse, tout en gardant à l’esprit que, comme pour beaucoup d’autres choix dans l’existence, des déterminismes psychologiques et sociologiques qui nous échappent, sont souvent à l’œuvre. Je n’adhère pas au mythe de l’artiste qui maîtrise totalement sa production, conçue comme simple exécution d’un projet préalable.
D’un point de vue purement esthétique, les bâtiments, quels qu’ils soient, ont une présence physique, une matérialité extraordinaire, fascinante même, dans le cas des silos qui ornaient (involontairement) les paysages de ma Champagne natale. Je prends au sérieux l’analogie avec les cathédrales gothiques de la même région. Mais je peux trouver un intérêt dans le plus quelconque des lotissements, à condition d’y rechercher le bon point de vue.
Mais mes images ne sont pas des exercices de style qui prendraient le monde comme prétexte pour faire de belles photographies, graphiques ou décoratives, qui ne disent rien sur le monde. L’urbanisation accélérée du dernier siècle est une des réalités les plus importantes pour les personnes de mon âge. Il est de bon ton de s’en lamenter. Mon approche est plus neutre, je montre ce monde bâti sans esprit critique systématique. Bien d’autres photographes l’on fait ces dernières décennies.
La bienveillance :
Cette neutralité du style documentaire, je la veux bienveillante. C’est-à-dire que je vais plutôt rechercher les points de vue et les compositions qui mettent en valeur leur sujet. Ce parti pris n’est pas une adhésion béate à ce qui est produit en termes de constructions. Mais ce qu’il y a de critique dans ma démarche est inscrit en négatif, c’est tout ce que je ne photographie pas.
Des portraits :
Une des interrogations récurrentes du public face à mes photographies porte sur l’absence de présence humaine. La meilleure réponse que je puise faire est que je réalise des portraits de bâtiments et que des éléments extérieurs viendraient perturber l’image. Il en est de même pour les automobiles dont l’omniprésence me paraît être un des éléments majeurs de l’enlaidissement du monde. J’aime noter que plusieurs grands photographes ont eu à justifier l’exclusion des humains de leurs images. Il semble d’ailleurs que cette supposée nécessité de la présence humaine soit plus prégnante en France où la culture photographique se limite le plus souvent à la photographie humaniste de l’après-guerre. Le style documentaire est né aux USA et en Allemagne. Une conséquence de cette exclusion des humains est que je photographie fréquemment les maisons quand elles dorment. Regardez d’ailleurs autour de vous, c’est très souvent le cas. Les habitants sont la plupart du temps au travail ou devant la télévision. Sans parler des résidences secondaires occupées quelques semaines par an. Mes rues désertées traduisent une réalité évidente sitôt que l’on s’éloigne des centres-villes. Sauf pour les automobiles, j’en conviens.
Les séries :
Mes photographies sont souvent regroupées en séries. Cela à deux niveaux. Les cathédrales agricoles, les carrefours américains, ces objets appelés maisons. Et dans chacune de ces séries, des sous-séries plus courtes, parfois agencées en polyptiques. Diverses logiques président à ces regroupements : la géographie, la fonction, la forme, la lumière, une ambiance. J’ai dans la tête des noms pour ces sous-séries (les pointues, les mignonnes, les curieuses…), mais je garde cela pour moi et laisse le spectateur en inventer, si cela lui chante. La présentation des images en séries est une tendance majeure de la photographie depuis bientôt un siècle. C’est un moyen efficace d’accroître le sens des images.
La politique :
Est-ce que mes photographies sont politiques ? Tout dépend, bien entendu, de l’extension que l’on donne au mot politique. Au sens strict, elles n’ont rien de militant, elles ne véhiculent aucun message. Mais j’ai dit qu’elles n’étaient pas des œuvres purement esthétique ; elles parlent de notre monde et peuvent servir de base à des interrogations sur le monde que nous nous construisons. En fait, je les propose comme matériaux. Chacun les prendra comme il le veut.
Outre la bienveillance, l’égalitarisme caractérise mes photographies. Pas de hiérarchie entre mes sujets qui relèvent le plus souvent du vernaculaire, c’est-à-dire de l’architecture non officielle, fonctionnelle et populaire. On peut prendre cela pour une métaphore politique.
Le cas des silos est particulier, car ils représentent un mode production agricole dont on commence à mesurer tous les aspects négatifs. Dans la présentation de l’exposition j’ai expliqué que leur trouver du charme n’est pas une adhésion au modèle qu’ils symbolisent. La foi n’est pas requise pour aimer les cathédrales.
Les USA :
Je parle de notre monde, mais montre beaucoup d’images faites aux USA. Cette longue parenthèse américaine rentre logiquement dans ma démarche, qui est aussi un hommage à quelques photographes majeurs du style documentaire. Celui-ci est né aux USA. Et puis la comparaison de notre ancien monde au nouveau peut initier des interrogations. Un détail significatif : Les poteaux et les fils sont un élément majeur du paysage urbain américain. C’est un régal que de les photographier. Cela est à mettre en parallèle avec la frénésie d’enfouissement qui règne ici. Je ne tranche pas, car je peux trouver autant de charme aux dessins tracés dans le ciel par les fils qu’au dépouillement aseptisé des lotissements modernes.
La technique :
On me demande souvent quelle technique j’utilise, en particulier si je travaille en argentique ou numérique. Pour des raisons de commodité et de compétences personnelles, je travaille en numérique, avec du matériel assez performant. Je voudrais signaler que cette distinction entre le numérique et l’argentique n’est pas la plus pertinente. Il me paraît plus important de distinguer la photographie lente et parcimonieuse de la photographie rapide et pléthorique que permettent les appareils modernes. Je travaille lentement, le plus souvent avec un trépied.
Le diaporama :
Le diaporama est un ajout tardif à l’exposition, à la demande des organisateurs. Sa forme d’hommage au père de l’art conceptuel en photographie est un prétexte pour montrer des objets urbains banals, photographiés avec une certaine application. J’aime le contraste entre la précision des images et la banalité des sujets. Cela doit toucher à ce qu’il y a de magique dans l’acte de représentation. Quelque chose d’essentiel dans la culture occidentale. Un objet représenté, quel qu’il soit, voit son être modifié. Les natures mortes ne sont pas que de simples exercices de style.
Le monde à l’envers :
Une de mes photographies est accrochée la tête en bas. Comme de nombreux français j’ai une relation très ambivalente avec les USA, qui sont à mes yeux capables du pire comme du meilleur, comme d’ailleurs – à des échelles et dans des domaines extrêmement différents – l’Allemagne. Le versant négatif de cette ambivalence s’est renforcé récemment. Regardez cette tour, elle porte un T à son sommet. C’est l’une des tours Trump, celle de Las Vegas. Trump président, le monde à l’envers.