d < 1 km
L’heure est à la proximité. Ce titre indique que toutes ces photographies ont été réalisées à moins d’un kilomètre de leur lieu d’exposition. J’ai porté sur Villeneuve-la-Rivière un regard qui se veut rigoureux et bienveillant. Mes photographies nous parlent de là où nous vivons, mais je laisse aux spectateurs le soin de leur attribuer le sens qu’ils souhaitent.
26ème Rencontres de la Photographie Regards. Villeneuve de la Rivière. 5 - 8 octobres 2018
Voici quelques notes prises durant la réalisation de ce travail :
Journal de Villeneuve 2016-2018
Samedi 29 octobre 2016 : Première expédition photographique dans le bourg. Il apparaît rapidement qu’il me sera difficile de tenir mon programme (jeter un regard bienveillant), car en dehors de deux ou trois maisons de la rue principale, le reste m’inspire peu. Dans les lotissements, les murs rehaussés de parpaings sont particulièrement inélégants.
Mardi 1er novembre 2016 : Premier café au Café de la Place. Je suis tenté de faire des photographies critiques (le bêton, les hauts murs, les automobiles omniprésentes, les vestiges du petit commerce…). Mais je m’abstiens. Une vieille cabane de transformateur a belle allure, mais la montrer risque d’être perçu comme une provocation. C’est cela que vous avez retenu de Villeneuve ! me diront les habitants.
Samedi 5 novembre 2016 : Enfin un ciel couvert ! J’ai le sentiment de mieux m’exprimer sous cette lumière qui ne cache rien (sur les photographies légèrement surexposées). Je reviens sur les mêmes lieux.
Vendredi 11 novembre 2016 : Mon projet était de jeter un regard bienveillant et égalitariste sur le modeste, mais me voici peut-être en train de magnifier le médiocre.
Dimanche 20 novembre 2016 : Nouvelle exploration ; je tourne vainement en rond. Les sujets sont rares et je les connais tous. Certaines compositions avec des fils électriques me plaisent, mais on risque de les prendre pour un plaidoyer en faveur de leur enfouissement, ce qui serait un contre-sens. J’aime les fils aériens, ici comme aux USA.
Vendredi 25 novembre 2016 : J’apprends qu’il n’y aura probablement pas d’édition 2017. Déception. J’avais trouvé un titre : d<1 km qui rappelle qu’il s’agit de photographies de proximité et qui évoque la rigueur quasi mathématique de mes cadrages.
Dimanche 21 janvier 2018 : Les dates de l’édition 2018 sont confirmées. Grande satisfaction. Je vais reprendre mes explorations après plus d’une année d’interruption. J’ai depuis approfondi mes réflexions sur ce que peut être ma démarche. Et puis, il y a eu la visite de l’exposition à la BNF de Paris Paysages Français. Des floppées de photographes se sont interrogés sur la manière de photographier la France d’aujourd’hui. Je refuse le point de vue condescendant de la plupart et les recherches plasticiennes de beaucoup. Décidément, l’américain Stephen Shore (l’auteur de Uncommon Places) et le français Raymond Depardon (l’auteur de La France de Raymond Depardon) me montrent la voie ; la relation qu’ils ont à leur sujet me paraît juste, sans emphase ni mépris.
Mardi 30 janvier 2018 : Toujours la même difficulté à trouver des sujets qui conviennent à mon projet. Lu l’autre jour, sous la plume de l’historien Olivier Lugon à propos de l’exposition Signs of Life de 1976 organisée par des architectes, à laquelle participa Stephen Shore :
Le dispositif ne va pas manquer de provoquer de violentes discussions quant aux intentions des architectes. De leur côté, Venturi, Scott Brown et Izenour ne cessent de souligner leur parti pris de neutralité, leur volonté de simplement donner à voir des objets généralement méprisés, en suspendant tout jugement de valeur pour permettre de les appréhender enfin selon leur logique propre. Nombre de commentateurs, en revanche, considèrent le dispositif comme une pure entreprise de célébration du goût petit bourgeois et de la société de consommation, dans un acquiescement veule à l’aliénation culturelle et au statu quo politique. Mais d’autres encore, tout aussi nombreux, fustigent à l’inverse le regard élitiste, moqueur ou condescendant porté sur ces lieux de vie quotidienne.
Je me sens constamment menacé par ces écueils. Mon camp est celui de la neutralité bienveillante.
Lundi 19 février 2018 : Je passe mon temps le nez en l’air à attendre qu’un nuage vienne cacher le soleil. Je me sens un peu ridicule, ainsi, au milieu de la rue désertée en raison des travaux. Mais ma patience est récompensée. Au moins une bonne photographie cet après-midi, près du café. Enfin une photographie dont la bienveillance n’est pas douteuse ! Un peu surexposée, elle met bien en valeur le contraste entre la géométrie des vieilles façades et de l’abribus et la silhouette tortueuse des platanes. Contraste des formes, mais harmonie des teintes pastel.
Jeudi 8 mars 2018 : A Villeneuve, sous une belle lumière égale. Je refais beaucoup des photographies déjà faites. Je crains de radoter. Pourtant une étape est franchie : la tenancière du café accepte de se faire photographier. Que j’introduise un portrait dans ma série architecturale serait pour moi une nouveauté. Par ailleurs, premiers chants de l’année d’une huppe fasciée et d’une fauvette à tête noire.
Vendredi 25 mai 2018 : Nouvelle expédition à Villeneuve-la-Rivière. Toujours des automobiles garées partout. Une photographie me plaît, celle d’une haute haie de lauriers en fleur. Je ne sais moi-même si j’en loue la beauté ou en dénonce la banalité. Cette ambivalence me convient. Si on me demande : Y a-t-il un message dans vos photographies ? Je répondrais : Probablement, mais je ne sais pas lequel.
Mercredi 4 juillet 2018 : J’ai découvert la salle où seront exposées mes photographies. Devant ces longueurs de murs qui me sont attribuées, je prends soudain conscience, avec un certain effroi, de ma responsabilité. On m’accorde une confiance que je ne dois pas décevoir. Il faut que je sois compris, toute en parlant ma propre langue, tout en restant moi-même. Heureusement, tout est fait pour multiplier les échanges avec le public.
Samedi 14 juillet 2018 : C’est la féria à Céret. Je passe la journée à reprendre la sélection et la scénographie. Je m’en tiens aux seules vues de bâtiments et j’opte pour une présentation très symétrique. Un peu simpliste, mais cette rigueur s’accorde au titre. La symétrie porte sur la forme, mais aussi sur le sens des images.
Mardi 31 juillet 2018 : Sélection des photographies pour Regards. J’hésite sans cesse entre un agencement qui donne priorité au sens des images (la symétrie des sujets, les choix consensuels ou plus provoquants, la place et la taille du portrait…) et une sélection surtout basée sur les qualités esthétiques des images. Je cherche un équilibre.
Lundi 7 août 2018 : La sélection des photographies pour Regards et leur mise en scène donnent lieu à de multiples hésitations. Affichage symétrique, par couples, inclusion de vues de détail pour rompre la monotonie, utilisation de photographies pouvant être jugées provoquantes (le vieux transformateur, des façades de demeures pauvres ou non habitées), sont autant de sujets pour lesquels je dois encore trancher. Ma procrastination s’alimente aussi de la possibilité de réaliser encore de nouvelles images.
Mardi 14 août 2018 : On a annoncé un temps couvert, mais quand j’arrive, la marguerite électronique de la mairie a déployé ses pétales, ce qui n’est pas bon signe. Plus tard, les nuages arrivent. Belle moisson. Je reprends des clichés déjà faits en 2016 sous cette autre lumière.
Je suis bien accueilli par le propriétaire des grands bâtiments agricoles couverts de panneaux solaires qui ont été récemment construits tout près du bourg. Il est tentant de les inclure car ils représentent certainement pour Villeneuve un avenir autre que strictement résidentiel. L’image me fait penser à certaines photographies récentes d’Andréas Gursky, fortes par leur rigueur formelle, mais qui parlent de notre monde.
Vendredi 17 août 2018 : Nouvelle séance de prises de vues à Villeneuve, dont je décide qu’elle sera la dernière. Je crains que ma sélection ne déroute certains spectateurs. Qu’ils sachent que tous les sujets que j’ai sélectionnés présentent à mes yeux une forme de beauté, à condition que l’on accepte, comme le dit l’article cité, de les appréhender selon leur logique propre…
Jean-Claude Liehn www.jcliehn.com